Commentaires de Maître Wansong sur le Shoyoroku
L’histoire
Le Shoyoroku (chinois : Ts’ung-jung-lu) a été rédigé par maître Wansong Xingxiu (1166- 1246). Wansong pratiqua avec maître Xueyuan, un successeur de sixième génération dans la lignée de Fuyo Dokaï. Pour comprendre l’origine et l’importance du Shoyoroku pour le Zen Soto, il faut se remémorer l’évolution du Chan en Chine, du sixième siècle jusqu’au treizième siècle où le texte fut composé. Ces sept siècles peuvent être divisés en trois grandes périodes. La première, du sixième au huitième siècle (dynastie des Tang), commença avec l’arrivée en Chine de Bodhidharma. C’est l’époque des patriarches fondateurs du Chan : Eka, Sôsan, Dôshin et Kônin, avec comme point d’orgue le sixième patriarche Daikan E’nô. E’nô eut deux principaux successeurs : Nangaku Ejo et Seigen Gyoshi, qui sont à l’origine de toutes les grandes lignées qui apparurent ensuite.
La seconde période, qui va du huitième au dixième siècle (correspondant à la périodes dite des « cinq dynasties »), est celle de l’apparition et de la prolifération d’ une multitude de lignées. Beaucoup d’entre elles s’éteindrons mais certaines seront à l’origine des cinq grandes écoles du Chan qui apparaîtront plus tard. Cette époque est celle des premiers textes célèbres comme le Sandokaï et l’Hokyozanmaï et surtout celle d’une créativité extraordinaire dans l’expression de l’enseignement. Des maîtres tels que Nangaku, Sekito, Tokusan, Baso, Yakusan, Tozan, Hyakujo, Seppo, Rinzaï, Nansen et Joshu pour ne citer que les noms qui nous sont les plus familiers, avaient chacun développé un enseignement original et leur propre formulation. Par exemple Tôzan et Sôzan, considérés comme les fondateurs de l’école Soto, ont créé un très grand nombre de formules célèbres comme les cinq rangs (Go I), les trois chemins, les trois chutes, les trois fuites, etc…
Toutes ces formules et ces expressions différentes devaient permettre aux disciples d’éviter les pièges de la compréhension intellectuelle en les sortant des ornières de leurs connaissances antérieures et en les éveillant à la réalité de la voie du Bouddha. La plupart de ces maîtres étaient à la tête de communautés très importante, parfois plus de mille moines. Certains eurent un nombre impressionnant de successeurs dans le Dharma. Ainsi, Seppo transmit à cinquante de ses disciples. Cette période est appelée l’ « âge d’or » du Chan car c’est à cette époque qu’apparurent les cinq écoles ou cinq « maisons » du Chan : Hôgen, Ummon, Igyô, Sôtô et Rinzaï . Les histoires et les anecdotes concernant les patriarches et les maîtres fondateurs de ces écoles devinrent des standards de références pour les étudiants et sont à l’origine de ce qu’on allait appeler les koan ou « cas public » (voir encadré). C’est dans ce contexte, particulièrement riche et prolifique, que s’ouvrit la troisième période d’expansion du Chan (dynastie des Song). Elle vit apparaître une littérature de plus en plus raffinée et des écoles qui établissaient leurs spécificité et leur originalité avec un tel rigorisme que les remèdes eux-mêmes étaient déjà en train de produire de nouvelles maladies. Ainsi c’est au douzième siècle que se déroula la fameuse (vraiefausse) polémique entre Wanshi Sogaku, disciple de Tanka Shishun de la lignée Soto et Daie Sôkô, disciple de Engo Kokugon qui rédigea le Hekiganroku, recueil et commentaires de koans de la lignée Rinzaï.
Wanshi Sogaku (1091-1157) est considéré comme celui qui ranima une lignée Soto moribonde en redonnant son vrai sens à la pratique de Shikantaza. Petit à petit, Zazen était devenu une pratique quiétiste dénuée de tout esprit d’éveil ou les moines somnolaient plus qu’ils ne méditaient. Ainsi, à force d’être absorbés dans un état proche du vide mental, les moines ne pouvaient plus répondre aux exigences de la vie quotidienne, notamment dans leurs relations sociales avec les laïcs. C’est pour répondre aux critiques et à la désapprobation justifiée de nombreux maîtres et notamment de Dai’e Soko, que Wanshi écrivit ses textes les plus profond comme le Mokushoka où Shikantaza retrouve toute sa dimension et son mystère. Dai’e Soko connaissait un tout autre problème.
Ses disciples qui étudiaient avec énergie les koan du Hekiganroku, le faisait avec un tel zèle et une telle ferveur qu’ ils l’apprenaient par coeur, perdant ainsi toute spontanéité. De plus, ils commençaient à imiter les maîtres anciens dans des mondos qui se transformaient en joutes oratoires et intellectuelles. La confusion devenait telle, qu’ un jour Dai’e Soko prit l’original du Hekiganroku écrit par son maître et devant toute sa communauté, le brûla au milieu de la cour principale du temple.
En fait Wanshi et Dai’e étaient spirituellement très proches et leur relation, basée sur une apparente opposition fût, en fait, une vraie collaboration dharmique. Ce qu’ils leurs importaient avant tout n’était ni l’importance de leurs Sangha, ni même la transmission du style de leur école, mais seulement de léguer à leurs disciples une véritable pratique d’éveil. L’histoire entre ces deux maîtres montre un très grand respect mutuel, une confiance réciproque tellement forte que Wanshi n’hésita pas à confier la fin de son oeuvre à Dai’e dans ses derniers moments, et surtout la même exigence sans concession de la transmission du Dharma.
Koan
Les koan, en tant que pratique, sont apparus en Chine au début de la dynastie des Song, au milieu du dixième siècle. La traduction communément admise est « cas public » ; le sens originel du mot définissait un document officiel édité par l’empereur de Chine et qui était sur les bureaux des fonctionnaires pour être affiché. Autant dire que la loi en question ne pouvait être remise en cause ni même discutée par personne et qu’elle s’adressait à chaque individu de la même manière.
Le koan zen exprime la même chose mais au niveau du Dharma : une expression indiscutable de la chose réelle et qui s’adresse à chacun quelque soit sa position ou son ancienneté. Une autre façon de lire ce mot est :Ko, la chose commune, publique, partagée, ce qui efface les différences et les particularités. An : s’occuper de ce qu’on a à faire et que personne ne pourra faire à notre place, notre responsabilité en tant qu’individu avec nos caractéristiques et notre personnalité.
Dans ce sens, le mot Koan exprime la réalité de notre vie : à la fois unique , individuelle et en même temps universelle et totalement issue de l’interdépendance. Il exprime alors clairement la réalité de Zazen : personne d’autre que nous même ne pourra pratiquer et réaliser ce que tous les êtres humains et toutes les existences, animées et inanimées, ont en commun : le Dharma du Bouddha.
C’est sans aucun doute dans ce contexte historique que Wanshi , soucieux d’éveiller (ou du moins de réveiller) ses moines, collecta cent Koan qui lui semblait éclairer la pratique de Shikantaza. Pour chacun de ces Koan, il écrivit un commentaire sous forme de poème ou il exprime à la fois un talent incontestable, une culture remarquable et surtout un éveil des plus abouti.
Quelques décennies plus tard, Wansong Xingxiu , contemporain de Tendo Nyojo le maître de Dôgen dont la lignée remonte aussi à Fuyo Dokaï, reprit l’oeuvre de Wanshi. Il y ajouta pour chaque koan une introduction, un commentaire et des « paroles ajoutées » suivant en cela le style de l’époque. Il composa ainsi le Shoyoroku, littéralement : le livre de la sérénité ou de l’équanimité. Depuis maintenant plusieurs siècles, le Shoyoroku est considéré comme le livre de Koan de l’école Soto et à ce titre, est commenté par les maîtres et étudié par les moines.
L’idée selon laquelle l’étude des koan est réservée à l’école Rinzaï tandis que le Soto ne se concentre que sur Shikantaza est évidemment un peu simpliste. Que ce soit Wanshi au onzième siècle, Dôgen au treizième (qui compila le Shinji Shobogenzo, un recueil de trois cent un koan), ou encore Keizan au début du quatorzième siècle avec son Denkô-roku, tous les grands maîtres qui ont enseignés la pratique de Shikantaza comme source de notre école, l’ont fait notamment au moyen de koan. Ce qui différencie les deux écoles se situe plus dans la façon d’étudier et d’utiliser les koan, qui ne sont en définitive, que de merveilleuses expressions de Shu- sho : pratique et éveil sont un.
La structure du texte
Chaque cas traité dans le Shoyoroku suit une structure bien définie.
Tout d’abord une introduction de Wansong Xingxiu qui pose un cadre et installe certaines perspectives en formulant généralement une question en rapport avec le cas. Ce qui met immédiatement le lecteur dans un climat de grande interrogation.
Par exemple dans le chapitre cinq :
Siddharta se coupa la chair pour la donner à ses parents, il n’entre pourtant pas dans les légendes des enfants dévoués à leurs parents. Devadatta déplaça une montagne pour écraser le Bouddha mais a t’il eu peur du bruit soudain du tonnerre ? Après être passé à travers la forêt d’épines et avoir coupé l’arbre de santal, attendez seulement que l’année s’achève. Comme par le passé, le printemps précoce est encore froid. Ou est le corps de réalité du Bouddha ?
A partir de références historique du bouddhisme, chaque phrase nous ramène instantanément à la pratique de zazen. La forêt d’épines n’étant dans ce texte, rien d’autre que le dojo et l’arbre de santal le samadhi de zazen. La question finale donnant la vraie dimension du cas qui va être présenté et constituant ainsi un vrai koan en soit.*
Puis vient le cas retenu par Wanshi, qui est soit une histoire traditionnelle tirée d’un mondo entre un des grands maîtres indien ou chinois et un disciple, soit un passage tiré d’un sutra1. Le cas exprime toujours un aspect de Shu-Shô (pratique-éveil) et de l’art d’éduquer dans notre école.
Toujours dans le chapitre cinq, le cas est particulièrement parlant :
Un moine demanda à Seigen Gyoshi :
« Quelle est la grande signification du Bouddhisme ?
Seigen répondit : « Quel est le prix du riz à Luling ? »
On retrouve ainsi certains des koans cités dans le Shoyoroku dans d’autres recueils fameux de la tradition Rinzaï tel le Mumon kan, qui fut rédigé quelques années plus tard par Wumen, ainsi que dans le Hekiganroku , compilé par Engo sur les koans et poèmes de Setcho et qui est antérieur de quelques décennies au Shoyoroku. Ainsi le koan « Mu » de Joshu, le « chat coupé en deux » de Nansen ou le « renard sauvage » de Hyakujo, pour ne citer que les plus connus.
Toutefois, la très grande majorité des koans retenus par Wanshi ont de toute évidence une relation très intime avec Shikantaza et le coeur de son enseignement : l’illumination silencieuse.
Après le cas rapporté par Wanshi, Wansong fait ses propres commentaires en prose. Les paroles de Wansong ne sont en aucun cas des explications du koan cité. Mais à partir d’autres koans ou d’histoires faisant intervenir d’anciens maîtres, au travers d’innombrables références à la culture bouddhiste, chan, taoïste, confucianiste et même plus simplement à l’histoire chinoise, Wansong nous entraîne dans un monde ou la logique n’est plus de mise et ou la poésie, l’humour et la « langue sans os » permettent d’exposer le koan lui-même. Ainsi on peut lire chaque commentaire mille fois, on en aura à chaque fois une intuition différente. Le style de Wansong est vraiment remarquable, son intelligence de la voie et la finesse avec laquelle il entraîne le lecteur vers de nouvelles perspectives sont étonnantes.
Utilisant son immense culture, Wansong se comporte comme un maître de la peinture expressionniste. Usant de multiples touches et d’une palette de couleurs tellement riche, composant un tableau vivant dans lequel notre esprit rationnel se perd et ou nos propres références ne trouvent plus d’appui. Ce tableau ne représente jamais que la réalité elle même.
Le commentaire de Wansong fait ainsi toujours le lien entre le koan et l’expression poétique qu’en donne Wanshi. Pour rester dans le chapitre cinq, le commentaire est particulièrement clair :
Lorsque Seigen Gyoshi rencontra pour la première fois le sixième patriarche, il lui demanda immédiatement
« Que faut il faire pour ne pas tomber dans les étapes et les degrès ?3 »
Enô dit : « Qu’avez vous fait ? » Seigen répondit : « Je ne pratique même pas les vérités sacrées. »
Le sixième patriarche rétorqua :
« si même les vérités sacrées ne sont pas pratiquées, où voyez vous des étapes et des degrés ? ».
Enô vit immédiatement les grandes capacité de Seigen et bien que sa communauté fut très importante, Seigen en resta toujours le premier disciple. C’est tout à fait semblable à Eka qui garda le silence et à qui Boddhidharma dit : « Vous avez ma moelle ». Si on regarde la question de ce moine au sujet de l’ultime signification du bouddhisme, on peut penser que c’était un vrai débutant fraîchement arrivé au monastère. Mais déjà il voulait cheminer autour des montagnes de fer avec Manjusri… Seigen était un homme qui ne pratiquait même pas les vérités sacrées, pourtant il fait de cette rencontre une rencontre ordinaire, tournant la tête en partant et lançant : « Quel est le prix du riz à Luling ? ». Certains disent : « Le prix du riz à Luling ne peut pas être estimé. » Ce faisant ils ne se rendent même pas compte qu’ils sont déjà entrés dans les boisseaux et les picotins et qu’ils ont dressés boutique. Voulez vous éviter d’avoir à fréquenter une telle compagnie ?
Alors demandez à Wanshi, son poème dit :
« La réalisation de la grande paix n’a pas de signe ; Familiale, la façon d’être des paysans est des plus parfaite, Concernés seulement par les chansons de village et les fêtes populaires, Comment connaîtraient ils les vertus de Shun et la bienveillance de Yao ?»
Chacun des cent poèmes écrit par Wanshi dans le Shoyoroku est une petite perle d’éveil et de lucidité. Souvent complexes car riches en références historique et en culture bouddhique, leur expression est toujours d’une grande simplicité et peut être appréhendée à différents niveaux. Là encore, Wansong en fait de précieux commentaires. Au sujet de ce poème, il dit :
En 832, pendant le règne de l’empereur Wenzong de la dynastie Tang, Niu Sengru était premier ministre. L’empereur lui demanda :
« Quand le pays sera-t-il en paix ? ».
Sengru répondit :
« Un gouvernement de paix n’a pas de forme spéciale. Aujourd’hui, les pays voisins ne cherchent pas à nous envahir et les paysans ne quittent pas le royaume ; bien que ce ne soit pas l’ordre ultime, on peut tout de même dire qu’il est sain. Si votre majesté recherche une paix supérieure à celle-ci, c’est au delà de mes compétences. »
Puis il demanda à maintes reprises de pouvoir abandonner ses fonctions. L’empereur l’envoya comme inspecteur dans la province du Huainan. Je dis : il créait déjà un modèle, il esquissait un portrait. Par conséquent, dans un style rustique, frapper la terre du pied en chantant des chansons populaires, la musique rituelle et les fioritures littéraires se transforment en bizarreries. Le prix du riz à Luling est extrêmement profond et mystérieux. La vertu de Shun et la bienveillance de Yao – leur sincérité avait une influence naturelle. En quoi Les fêtes populaires et les chansons de village pouvaient-elles leurs être comparées ? La lune est claire, le vent est pur – chacun demeure dans sa propre condition. Comprenez vous ? Ensuite retournez dans le dojo.
Pour finir et comme la tradition l’exigeait dans ce genre de commentaire, Wansong reprend chaque phrase du cas et du poème de Wanshi et en donne un autre éclairage, souvent avec beaucoup d’humour, toujours avec une extraordinaire vivacité :
Un moine demanda à Seigen :
« Quelle est la grande signification du Boudhisme ? »
Un responsable inférieur pense souvent aux règles.
Seigen répondit :
« Quel est le prix du riz à Luling ? »
Un vieux général ne parle pas du fait d’être dans l’armée.
La réalisation de la grande paix n’a pas de signe ;L’étoile sur la bannière apparaît elle déjà ?6
Familiale, la façon d’être des paysans est des plus parfaite,
En quoi cela me regarde t’il, moi qui cultive mon champ et prépare mes boules de riz ?7
Concernés seulement par les chansons de village et les fêtes populaires
Le pauvre fantôme n’est pas réellement vivant.
Comment connaîtraient – ils les vertus de Shun et la bienveillance de Yao ?
Ainsi réalisent-ils la loyauté et l’esprit filial.8
Un cas.
Le premier cas du Shoyoroku est certainement le plus parlant car d’une certaine manière il inclut les quatre vingt dix neuf autre. Ce premier cas est également le quatre vingt douzième du Hekiganroku compilé par Engo, le maître de Dai’e Soko.
L’honoré du monde monte en chaire.
Introduction de Wansong
Fermer la porte et dormir est la façon de recevoir les personnes au potentiel le plus élevé. Observer, réfléchir, faire des efforts sont des moyens habiles pour les gens de caractère moyen ou inférieur. Comment concilier cela avec le fait de s’asseoir sur le siège de bois sculpté en exhibant des yeux de démon ? S’il y a une personne dans l’assemblée qui n’est pas d’accord, qu’elle s’avance ; vous ne pouvez pas la blâmer.
Le cas de Wanshi :
Un jour, l’honoré du monde monta en chaire.
Manjusri frappa le bois et dit : « Observez clairement le Dharma
du roi du Dharma. Le Dharma du roi du Dharma est ainsi. »
L’honoré du monde descendit de son siège.
Commentaires de Wansong
Incarnant parfaitement les dix épithètes9, apparaissant dans le monde comme l’unique honoré, levant les sourcils, s’animant : on appelle cela dans les écoles « monter en chaire », et dans les forêts de méditation « s’avancer dans la salle ». Avant que vous n’arriviez à cette salle d’enseignement et avant que je quitte ma chambre, quand atteindrez vous la réalisation ?
C’est déjà sombrer dans les ruminations. N’avez vous pas lu les paroles de Xuedou : « S’il y avait eut quelqu’un qui comprenne les significations innombrables en rapport avec les situations, comme dans le mot sanskrit saindhava10, quel besoin Manjusri aurait il eut de frapper même un seul coup ? ». A y regarder de plus près, Xuedou ne devrait pas demander le sel (saindhava), dès lors comment pourrais-je lui présenter un cheval (saindhava) ?
Même lorsque Manjusri, l’instructeur ancestral des sept Bouddhas du passé, dit : « Observez clairement le Dharma du roi du Dharma, le Dharma du roi du Dharma est ainsi. », il a quand même besoin d’extraire les clous de ses yeux et d’arracher les cales de l’arrière de son cerveau avant de pouvoir le réaliser ! Depuis ce temps là, arrivés au moment de l’ ouverture de la salle d’enseignement, nous sonnons encore le bois et disons : « Observez clairement le Dharma du roi du Dharma ; le Dharma du roi du Dharma est ainsi. », évoquant par là ce précédent. Cela dit, l’honoré du monde descendit immédiatement de son siège, il en conserva une moitié et offrit l’autre moitié à Wanshi, dont le poème dit :
Poème de Wanshi :
Le souffle unique de la réalité – le voyez vous ?
Sans cesse la création fait courir la navette dans le métier,
Tissant l’antique brocard avec les couleurs du printemps.
Mais que faire de l’indiscrétion de Manjusri ?
Commentaires de Wansong :
Wanshi dit : « Le souffle unique de la réalité – le voyez vous ? » Le souffle unique de la réalité ; est-ce Shakyamuni montant sur son siège ? Est-ce Wanshi récitant son poème ? Est-ce mon enquête ultérieure ? Ainsi c’est déjà devenu trois niveaux – quel est le souffle unique de la réalité ? Vraiment, chacun d’entre vous y a sa part, mais vous devriez l’étudier attentivement.
Il dit aussi : « Sans cesse, la création fait courir la navette dans le métier. ». « Mère de l’évolution » et « Créateur » sont des noms différents pour la création des êtres. Le Confucianisme et le Taoïsme sont fondés sur une seule énergie, la tradition bouddhiste sur un seul esprit. Guifeng a dit que l’énergie originelle est encore une création de l’esprit et qu’elle est entièrement contenue dans le champ d’image de la conscience alaya. Moi, Wansong, je dis que c’est la vraie source de l’école Cao-Dong, la ligne de vie des Bouddhas et des Patriarches.
Comme la trame passe par la chaîne, le tissage est dense et de bonne qualité ; un fil sort continuellement de la navette , fabriquant chaque détail – comment peut on parler le même jour de cela comme de cause erronée ou d’absence de cause ?
Ensuite le poème fait l’éloge de la généreuse abondance de l’Honoré du monde en disant : « Tissant l’antique brocard avec les couleurs du printemps ». Comme ces insectes vivant dans le bois et qui tracent des motifs apparemment insensés, bien qu’il fabrique son chariot derrière des portes closes, lorsqu’il le sort il s’ajuste parfaitement aux sillons de la route.
Finalement, il donne une réponse cinglante à Manjusri en rétorquant : « Mais que faire de l’indiscrétion de Manjusri ? » Manjusri frappa le bois et l’honoré du monde descendit de son siège ; lorsque Mahakashyapa frappa le bois , un millier de Manjusri apparurent11 – tout vient de ce même genre de situation. Pourquoi rassembler et laisser partir ne reviennent ils pas au même ?
Mais dites moi : où Manjusri a t’il divulgué quelque chose ?
« En ouvrant délicatement les bourgeons de l’arbuste à piment, Il laisse s’échapper le libre printemps sur les branches. »
Paroles ajoutées de Wansong :
«L’honoré du monde monta en chaire.
Tiens, aujourd’hui, il ne fait pas la sieste…»
Manjusri frappa le bois et dit : « …. Le Dharma du roi du Dharma est ainsi ».
Je ne sais pas ce qu’il a derrière la tête…
L’honoré du monde descendit de son siège.
Distribuez les cartes un autre jour.
Le souffle unique de la réalité…
Ne le laissez pas souffler dans vos yeux,
il est particulièrement difficile à déloger.
Sans cesse, la création fait courir la navette dans le métier.
Toutes les différences se mélangent dans la trame.
Tissant l’antique brocard…
Un grand adepte est comme inepte.
Mais que faire de l’indiscrétion de Manjusri ?
Yin et Yang ne se succèdent pas irrégulièrement ;
les saisons ne se chevauchent pas. *
* Traduction du Shoyoroku en français par Henry Durand et Olivier Wang-Genh à partir de la traduction anglaise de Thomas Cleary, « The Book of Serenity », Shambhala Editions, 1998.
* Les notes ci-dessous ne sont en aucun cas des explications du texte. Cependant certaines références, qui font partie de la culture bouddhiste de base, pourront rendre le texte plus accessible au lecteur qui ne possède pas forcément ce bagage.
1 Le cas soixante sept est tiré d’un sutra : « Le sutra de l’ornementation fleurie dit : « Je vois désormais que tous les êtres sensibles, ou qu’ils se trouvent, possèdent complètement la sagesse et les vertus des êtres éveillés, mais à cause de leurs conceptions erronées et de leurs attachements ils ne s’en rendent pas compte ! ».
2 Luling est la capitale de la région de Chine la plus réputée pour la qualité de son riz. Le cours du riz à Luling fixait le prix du riz pour toutes les autres régions de la Chine, or pour la vie quotidienne d’un chinois qu’y a t’il de plus important et de plus vital que le prix du riz ? En répondant cela à la question : « quel est la plus haute signification du bouddhisme », Seigen veut dire : « l’infinité des causes et conditions, la totalité de l’interdépendance est exprimée par le prix du riz à Luling, ne recherchez pas le Bouddhisme en dehors de cette réalité. ».
3 Allusion à la célèbre polémique qui régnait à l’époque entre l’école du nord qui prônait un éveil graduel basé sur une pratique progressive (nettoyer le miroir), et l’école du sud , qui enseignait que l’esprit est Bouddha, immédiatement (pas de poussière, pas de miroir).
4 les quatre nobles vérités, et notamment la quatrième : le noble sentier octuple.
5 Yao et Shun sont les derniers empereurs de la dynastie mythique des fondateurs de l’empire du milieu, il y a plus de quatre mille ans. On dit que ce sont les créateurs du jeux de Go. Ils symbolisent l’harmonie entre le ciel et la terre, entre l’ordre absolu et l’ordre ordinaire. Ainsi les vertus et la bienveillance étaient leurs qualités essentielles.
6 Traditionnellement, lorsqu’un maître allait donner un discours sur le Dharma, on dressait une bannière à l’entrée du temple.
7 Dizang demanda à un moine : « D’ou venez vous ? », le moine dit : »Du sud ». « Comment se porte le Bouddhisme dans le sud ces temps-çi ? » demanda Dizang ; « on y discute beaucoup » dit le moine. « En quoi cela me concerne t’il, moi qui cultive mon champ et fait mes boulettes de riz ? ». « Mais que faites vous pour le monde ? » demanda le moine. Dizang dit en levant la tête : « Qu’est ce que vous appelez le monde ? ».
8 allusion à la première phrase de l’introduction.
9 Nyoraï-Ôgu-Shôhenchi-Myôgyosoku-Zenseï-Sekenge-Mujoshi-Chôgojôbu- Tenninshi-Busseson : Celui qui est ainsi – le saint – le parfaitement illuminé – Complet en savoir et en action – Celui qui a pris la voie juste – Celui qui connaît le monde – L’inégalé – l’éducateur des hommes – l’enseignants des humains et des dieux – l’honoré du monde.
10 Saindhava : mot sanskrit qui dans les temps anciens pouvait désigner quatre choses différentes : le sel, le pot, le bain et le cheval. Selon les circonstances, le vrai disciple sait quel objet présenter lorsque son maître dit « Saindhava ». Voir le 74 ème chapitre du Shobogenzo : Ösaku sendaba.
11 allusion à une très ancienne histoire : Manjusri décida un jour de pratiquer Ango, la retraite d’été, dans un lieu interdit aux moines où se trouvaient des bars et des bordels. Mahakashyapa, le pur ascète, voulut l’exclure de la Sangha mais lorsqu’il frappa le bois pour rassembler les moines, un millier de Manjusri apparurent. Lequel chasser ?
Maître Olivier Reigen Wang-Genh